(From Best, a French music magazine, April 1994)

Killing Joke

Recontre de Droles de Types

 

Nouvel album pour Killing Joke.  "Exorcism" est un retour à la chaleur brute des débuts pour Jaz qui se partage entre le groupe et la musique philharmonique.  Le Lien entre tout ça: le désir d'être unique.  Interview psychédélique.

"Exorcism"? Après "Requiem", "Pandemonium", "Adorations", "Darkness Before Dawn" et le reste?

Il y a dans Killing Joke se souhait d'un rock orgiaque, magique et païen, un rock d'invocation et de Sabbat.  Il y dans Killing Joke une intention que n'a su capter aucun de ses imitateurs, qu'ils aient pour nom Metallica, Ministry ou Faith No More.

Aujourd'hui, Killing Joke retourne à la chaleur brute de ses débuts, a ce Metal lyrique qui ne doit rien au blues et a sa logique ... Parallèlement, Jaz compose pour l'orchestre philharmonique de son coin, la Nouvelle-Zélande, une musique symphonique et romantique, très classique, qui évoque tantôt Tchaïkowsky et le romatisme échevelé, tantôt Sibelius.  De la musique classique genre douanier Rosseau, de l'art naïf en quelque sorte, mais qui est néanmoins le plus intéressant de son travail.  Il y a dans ces envolées de violons, ces cuivres pompiers, la même émotion exacerbée que chez Killing Joke.  Paradoxalement, on est désormais tellement habitué aux outrances des power chords, au langage tellement dévalué qui est souvent celui du rock que la musique de l'orchestre rameuté par Jaz, avec ses pupitres à partitions, ses archets, toute la vieille et merveilleuse batterie de cuisine de la musique "classique" en paraît toute neuve.

Dans un hôtel de Paris, Jaz et Youth, le bassiste, sont vautrés au chaud des vapeurs délétères.   Leur langage, déjà foutement "cosmique", s'en ressent.  Ils parlent, entre deux écoutes de leurs dernières oeuvres sur une mini-chaine aux piles agonisantes.  Youth, barbe et pieds nus, semble tombé des seventies.  Un look à  jouer, vers 71, dans Soft Machine ou Magna Carta.  Jaz, atrouce blouson de cuir digne de Victor Lanoux sur une inénarrable chemise blanche à col russe, est égal à lui même . . . .

"Cette musique d'orchestre, vous l'avez écrite sur du papier à musique?  Comme un grand?"

Jaz:  "Toute musique est émotion.   Toute musique vient de coeur".

"Certes!  Mais, pratiquement, qui a fait le boulot?"

Jaz: "Ecoutez-moi ça.  Ecoutez! C'est comme le soleil!"

"Bon.  Quel est votre premier souvenir musical, votre première émotion?"

Jaz:  "J'avais sept ans.  C'était à la radio.  On écoutait Offenbach.  C'était si magnifique, si fort! Après, ma mère m' a emmene aux concerts du dimanche.  J'ai recontré cette fille qui jouait du violon.  Elle était manifique, toute habillée de noir.  Une longue robe noire.  Elle m' a appris plein de choses".

"Vous parlez de tout, sauf du rock."

Jaz: "Je ne sais pas ce que c'est.  Tout est musique. J'ai découvert la musique avec la musique classique".

"Vous avez commencé Killing Joke en 79.  C'était quand même dans le contexte du punk finissant.  Vous faisiez, vous faites partie de cette culture.  Que vous le vouliez ou non, vous êtes un groupe de rock".

Jaz et Youth: "Violon ou guitare électrique, ce n'est que le moyen, pas la fin qui importe".

"Bon, mais vous parliez d'une violoniste en robe noire et de musique magique, rituelle.  Cela me rappelle cette experiénce d'Aleister Crowley . . ."

Jaz: "Qui ça?"

"Vous ne connissez pas? Aleister Crowley, le magicien"!

Jaz: "Ah?. . ."

"Enfin, il avait demandé à une jeune violoniste, Leilah, de jouer une certaine gamme pendant qu'il hypnotisait le public.  Tout le monde est entré en transe et la "Bête" est apparue.  La bête dont il était le double, la réincarnation".

Jaz et Youth: "Killing Joke n' a rien à voir avec la magie noire!"

"Certes, mais la magie?  J'ai toujours cru que Killing Joke était l'un de ces rates groupes à avoir compres quelque chose à la force rituelle de la musique.  Ce que Gurdjieff appelait "les octaves intérieurs", quelque chose dont la gamme du blues a gardé le souvenir, quelque chose qui obsédait Listz, un pouvoir dont l'invention de la gamme tempérée a cassé la force mais dont il reste peut être quelque chose dans ces harmoniques inattendues parfois genérées par une guitar électrique saturée . . . Vous savez, toutes ces histoires de "diabolus in musica", l'intervalle maudit par l'Eglise mais exploité à outrance par Wagner pour librér l'harmonie traditionelle de ses limites, celui avec lequel Hendrix, inconsciemment, a construit "Purple Haze"; celui qui se retrouve en cause dans la blue note . . . Je croyais que votre batteur se penchait sur des rythmes tribaux!  Je croyais que Jaz avait fait retraite en Islande pour réfléchir a tout ça?"

Jaz et Youth:  " ...."

"Mais encore?"

Jaz et Youth:  "On veut faire passer à notre public une soirée inoubliable."

"C'est tout à votre honneur, mais encore?"

Jaz et Youth:  "Le public et nous, c'est pareil nous sommes tous frères.  Tout le monde est sur le même bataeu cosmique".

"Certes, mais pour l'instant, vous vous prélassez dans cette chambre d'hôtel de luxe en fumant des joints".

Jaz et Youth: "On est là pour parler de notre dernier album".

"Sans blagues!  Alors, ce dernier album?"

Jaz et Youth: "Killing Joke est plus vivant que jamais.  Je ne sais pas ce que je serai demain mais aujourd'hui, jai fait ce nouvel album et je l'offre au peuple de la terre.  Positif, négatif.  Tout ça ne veut rien dire.  Tout sort de nous".

"OK, mais pourquoi être resté si longtemps sans faire de disques?  Le dernier. "Extremities Dirt & Various Repressed Emotions", date de 1990.  Le groupe s'est dispersé et chacun a vaqué à ses projets personnels".

Jaz: "Il était temps de renaître pour le groupe".

"Vous dites que vous ne faites pas partie du rock biz mais ce nouvel album, la tournée promo, les concerts, c'est un métier.  Avec des impôts à payer et tout ce genre de choses . . . Avec le retour du boucan, tous les groupes qui prétendent avoir été influencés par Killing Joke, le moment était plutôt bien choisi.  C'est d'ailleurs votre album le plus bruyant depuis bien longtemps. . ."

Jaz et Youth: "Influencés?  Impossible, on n'a rien à voir avec personne.  Killing Joke est unique.  Nous ne sommes pas un groupe de rock.  Nous sommes des artistes qui exprimons des émotions.  Quand vous parles de "riffs de guitare", je ne comprends rien a ce que vous dites. Nous sommes des peintres avec une palette.  Au même titre que l'orchestre classique est, pour moi, comme une palette.  Avec-vous vu toutes ces couleurs dans la nature?  Nous travaillons sur les rêves, la transmission des rêves.  Tout peut devenir réalité si on le veut vraiment".

"Rien a voir avec personne?  Mais il a bien fallu que vous appreniez comme les autres, que vous vous escrimiez sur les barrés, que vous déchiffriez "God Save The Queen" ou "Smoke On The Water", tout de même?"

 Jaz et Youth: "Pourquoi est-ce que vous ne parlez pas de Killing Joke?  Nous sommes là pour ça!  Pas pour parler d'influences ou du reste.  On dirait que vous voulez à tout prix faire passer Killing Joke pour un groupe normal . . ."

"Vous avez beaucoup écouté NEU quand même".

Jaz:  "Oui, ainsi que les groupes allemands du début des seventies".

"Il n'y a qu'à voir la façon dont Youth s'habille. . ."

"Exorcism", le retour . . . La preview cassette agonise dans des power chords et des lignes de guitare vaguement modale.  Les piles sont bientôt mortes.  On dirait la première répétition de Monsieur tout le monde.  Trop défonçés pour s'en rendre compte, les deux collègues écoutent la chose, béats, affalés sur le lit.  Ils voulaient me parler de la pyramide du Louvre.  D'un concert devant le monument?  Comme le Grateful Dead?

A vrai dire, je n'ai pas trop envie de savoir.  Jaz bavouille sur "2001, Odyssée de l'espace".  La musique, si moderne . . . C'était Strauss, eh patate!  Also spracht Zarathoustra!  Du trois accords. . .

--Patrick Eudeline